Article pour le programme du concert du 06.07.2024

Mozart en Amazonie : Pourquoi ce titre ?

« Il y a, dans la musique de Mozart, je ne sais quel charme, au sens le plus fort du mot, je ne sais quel philtre auquel aucun Indien ne reste insensible. Sur eux comme sur nous, ce disque (il s’agit de la symphonie n° 26 KV184)) agit comme un émollient, il détend le corps et fait respirer l’âme. Il est un oxygène à la fois et le plus doux des réconforts (…) Cette musique-là n’oblige pas les corps à rester immobiles et ne plaque pas un masque de terreur sur les visages. Elle ouvre les serrures les plus secrètes de l’être, elle détend, elle apaise, elle donne envie de sourire, de parler doucement, elle fait surgir de toutes choses mille voix cachées, mille couleurs, mille formes ignorées. »

Ces propos sont ceux d’Alain Gheerbrant (1920-2013), ethnologue, cinéaste et écrivain qui dirigea, de 1948 à 1950, l’expédition Orénoque-Amazone, première traversée d’une région jusque-là inexplorée de la Sierra Parima, chaîne de montagnes située au cœur de la forêt amazonienne aux confins de la Colombie, du Brésil et du Vénézuela.

Dans cet « enfer vert absolument impénétrable » vivent des tribus autochtones, soit totalement coupées du monde -les Guaharibos -, soit d’autres tribus – les Piaroas, les Maquiritares – que des contacts épisodiques souvent conflictuels voire traumatiques avec des Blancs « dont ils savent n’avoir rien de bon à attendre » ont rendu méfiants.

A trois moments dans le récit d’Alain Gheerbrant, seule la musique de Mozart parvient à faire tomber cette méfiance, à faire par exemple (c’est le premier moment) qu’une fête piaroa que l’approche de l’expédition avait brusquement fait disparaître renaisse : « Et, au maximum de puissance, Pierre fit démarrer une symphonie de Mozart (…) Un long moment passa encore. Puis, tout à coup, le même mugissement de trompe que nous avions entendu au loin en approchant du village s’éleva près de nous avec une violence inouïe (…) Ils se mirent à tourner en rond, le long des murs de palmes, l’un derrière l’autre, soufflant et chantant (…). Notre tour était venu d’admirer une musique inconnue (…) Ce fut ainsi que dès le premier jour de notre arrivée au cano Fruta, nous pûmes graver nos premiers disques de musique piaroa, grâce à Mozart qui devait nous rendre encore bien d’autres service tout au long de l’expédition … »

Pour en savoir plus, on ne saurait trop conseiller de lire l’Expédition Orénoque-Amazone d’Alain Gheerbrant (éditée en poche Folio Essais), récit d’aventures authentiques qui allie qualité scientifique de la réflexion anthropologique et grand message d’humanité partagée, de respect mutuel par-delà les différences, où la musique de Mozart joue un rôle déterminant à la rencontre de celle des « esprits » des autres peuples de la forêt amazonienne.

C’est sur cette utopie réalisée qu’est bâti le programme de ce soir.